À la Une et à la Der (dernière page) de ce Petit Journal supplément illustré du samedi 2 septembre, il est question d’élection, de candidat et d’électeur. Il est vrai que demain dimanche 3 septembre aura lieu, sur tout le territoire national, le second tour des élections législatives. Elles seront gagnées par les républicains modérés, le centre dirions-nous aujourd’hui. Ce journal est donc en plein dans l’actualité… de l’époque.
Un texte accompagne ces deux illustrations, d’une manière originale, « Avant l’élection » et « Après l’élection ». Voici le texte intégrale :
« Avant l’élection. Électeur, mon bon ami, tu l’as vu le candidat avant l’élection? Était-il souple le cher homme, et aimable ! Il savait bien, le rusé, que l’on ne prend pas de mouche avec du vinaigre, et il voulait te prendre : il était tout miel. Il te serrait la main, s’informait de ta santé, et si tu risquais un bon mot il riait à gorge déployée. Avais-tu des enfants ? Il les pressait fussent-ils incomplètement débarbouillés, sur son gilet blanc immaculé. Discrètement, il s’informait des nouvelles de ta femme et si ta belle-sœur n’était pas pourvue, d’épouseur. Il souriait d’un air entendu : – Nous lui trouverons ce qu’il lui faut. Ton gamin avait-il sur le mur crayonné, d’après notre dessin le portrait du commandant de Cornélius Hertz, jonglant avec les sacs de livres sterling, tandis que John Bull bat la mesure : – Oh parfait, s’écriait notre homme, on ne saurait assez flétrir l’ennemi stipendié de la patrie et ce petit a autant de goût que de talent. Oui de talent, je maintiens le mot, je le ferai entrer à l’École des Beaux-arts et vous verrez ! Puis il regardait la boutonnière de ta redingote avec une attention qui te faisait rêver de rouge ou de violet. Tu viendrais dîner avec lui à Paris, n’est-ce pas ? Sans manquer d’amener les tiens ; on finirait la soirée au théâtre tous ensemble, en famille. L’instituteur n’avait pas donné de prix à ta fille ? En voilà un qui ne moisirait pas dans le pays ! La tête du curé te déplaisait ? On abolirait le Concordat plutôt que de ne pas t’en délivrer. Tout ne devait-il pas céder devant toi, n’étais-tu pas le maître, le roi et lui qui était-il, sinon l’exécuteur de tes volontés, ton esclave? Et quel esclave ! il n’avait point un goût qui ne fut ton goût, un désir qui ne fut ton désir. Son seul but en sollicitant tes suffrages étaient d’user sa vie à défendre tes intérêts et avec quel désintéressement ! Ce n’est pas lui qui aurait tripoté avec un louche malfaiteur étranger ; Il n’était pas un jouisseur, un pilier de coulisses, ce tuteur des pauvres. Non, son passé intact parlait pour lui ; la République et toi, voilà ces deux ces seuls amours. En venait-on aux intérêts généraux ? il te promettait des chemins de fer à ne plus savoir où poser les rails, des écoles, un musée. Tu aurais insisté pour que ton hameau devant la capitale de la France, qu’il se serait engagé à le faire décider. Cela se passait hier.
Après l’élection. Tu as voté pour cet homme aimable, électeur mon bon ami et le résultat du scrutin proclamé tu as voulu dans ta joie le féliciter. Ta brave et loyale main tendue tu t’es avancé vers lui. – Eh bien, ça y est, vous êtes content, pas plus que nous, bien sûr ! Nous allons arroser cela. Vous prendrez un verre avec nous c’est du chenu. Ah mon ami, quelle figure ! Qu’était-il devenu l’homme aimable d’autrefois ? Envolé, disparu ! Sans doute il était touché, reconnaissant ; mais d’abord il ne prenait rien entre ses repas, et puis boire dans ce cabaret ou s’étalait la caricature de l’incorruptible que tu as que tu appelais irrespectueusement le candidat. Aoh,, yes ! Non vraiment il ne le pouvait pas. Et tirant de larges bouffées de son énorme cigare il t’a tourné le dos, te laissant tout déconfit, mon pauvre ami, et surpris, qui plus est, bon naïf. Va-t’en un peu maintenant lui rappeler ce qu’il t’a promis ; s’il te reçoit, ce qui est douteux, il t’aura vite mis à la porte. Pour qui le prend-t-on? Obtenir des places, des distinctions pour qu’on l’accuse de favoritisme et de trafic de son mandat ! L’intérêt de la patrie doit planer au-dessus de toute mesquine considération personnelle. Voilà, mon bon ami, mets cela dans ta poche et ton mouchoir par-dessus. On te l’a déjà faite, il y a quatre ans, on te l’a fait encore cette fois et on te la refera plus tard, pourvu que Dieu te prête vie. »
Évidemment cette attitude d’un homme politique est de l’histoire ancienne. N’est-ce pas ? Et dans tous les cas, il ne faut pas faire de généralité.
Le premier supplément illustré du Petit Journal est publié le 29 novembre 1890 avec deux pages en couleur (la Une et la Der). Ce supplément a succédé au Petit Journal supplément littéraire fondé en avril 1887 en remplacement du Petit Journal supplément du dimanche lancé trois ans plus tôt. En 1897, le tirage de ce supplément illustré dépasse le million d’exemplaires chaque semaine. Il sera remplacé fin 1920 par Le Petit Journal illustré suivi de L’Illustré du Petit Journal qui s’arrêtera en août 1934.
Le Centre de la Presse possède plus de 2.200 exemplaires de ces divers titres.
P. R.