Connaissez-vous André Gill ? Non ?
Mais vous connaissez sans doute à Montmartre, un cabaret nommé Au Lapin agile dont l’enseigne fut dessinée vers 1880 par… André Gill. Au Lapin agile aurait pu être aussi « Au lapin à Gill ». Étonnant, non ?
Ce grand caricaturiste du XIXème siècle né en 1840 et mort en 1885 débute sa carrière de caricaturiste en 1859 dans Le Journal amusant et Le Hanneton. En 1866, il commence sa contribution au journal satirique La Lune lancée en 1865 par François Polo (1838-1874). Le titre fait référence au quotidien de Polydore Millaud Le Soleil qui paraît quelque temps avant.. Le périodique paraît d’abord à chaque nouvelle lune, puis il devient dès le septième numéro un hebdomadaire paraissant le dimanche. Le succès est vite au rendez-vous. La Lune atteint en 1967 les 40 000 exemplaires.
À la Une de La Lune, on retrouve à chaque parution les portraits des personnalités de l’époque, caricaturées par André Gill. Politiques, artistes, hommes de presse tels Émile de Girardin, (créateur du journal La Presse), Victor Hugo, Alexandre Dumas père et fils, Adolphe Thiers, etc. Mais aussi… lui-même.
Dans le numéro du jour, on retrouve en effet un portrait de Gill signé X (en réalité un autoportrait). En page deux, on peut y lire sa biographie en vers par le journaliste et poète Ernest d’Hervilly.
« […] Il est grandement temps, André, de dire un mot de ta biographie :
– Cinq pieds six pouces, fort comme un turc, vingt-sept ans,
Des cheveux que jamais le fer ne modifie;
Fils de Paris, aimant en vrai Napolitain
À regarder le ciel, tout de son long dans l’herbe;
Dessinant quelquefois; ignorant le matin;
Ému, mais affectant le calme froid d’un Serbe,
Et n’arrivant jamais à l’heure au rendez-vous,
Quoiqu’il aime à trôner au sein d’une voiture ;
Tel est Gill, le rêveur aux paradoxes fous,
Le noctambule qui médit de la peinture ! »
Abonnés et lecteurs, que vous dirais-je encor?
Moi, parler du talent du prince de la charge?
Allons donc! Vous l’avez suivi, dès son essor,
Son beau coup de crayon franc, carré, gros et large !
Et son esprit exquis, vous le voyez ? Ses doigts
Le sèment largement dans ses folles binettes.
Mais il est un détail secret que je vous dois :
-Gill est né de parents pauvres, mais très honnêtes !
L’histoire de La Lune sera cependant de courte durée. Suite aux caricatures de Napoléon III et du pape, le journal est interdit par la censure fin 1867 et disparaît définitivement le 17 janvier 1868.
Pour remplacer La Lune, François Polo lance dès la semaine suivante L’Éclipse, avec toujours André Gill dans son équipe. Certains exemplaires vont être interdits de parution ou censurés et André Gill inventera alors l’allégorie de la Censure : Mme Anastasie.
L’Éclipse s’arrête en 1876 et est remplacée par La Lune Rousse, cette fois-ci fondée par André Gill, lui-même.
Le Centre de la Presse possède plus de 130 numéros de La Lune et de L’Éclipse. Fière de cette collection, l’association met à l’honneur André Gill dans l’exposition De La Gazette à la tablette.
Valentin Chaput