
Le 26 avril 1986 à 1 h 23 min 45 s, lors d’un test de contrôle, le cœur du réacteur no 4 de la centrale nucléaire V.I. Lénine de Tchernobyl, située en Ukraine à environ 130 km au nord de Kiev, entre en fusion, entraînant son explosion et la destruction du bâtiment dans lequel il se trouve. Le cœur se retrouve alors à l’air libre et d’énormes quantités de produits radioactifs sont rejetées dans l’atmosphère. Tchernobyl est la plus grave catastrophe nucléaire jamais survenue à ce jour, devant celle de Fukushima de 2011 (toutes deux classées au niveau 7 sur l’échelle internationale des événements nucléaires).

Moscou – époque U.R.S.S. – cherche d’abord à minimiser l’accident, n’évacuant les populations locales que 30 heures après l’explosion. Il faudra attendre le 14 mai pour que Gorbatchev reconnaisse, dans le cadre de la « glasnost » (politique de transparence), à la télévision soviétique l’ampleur de la catastrophe. Un nuage radioactif, poussé par les vents, s’est propagé sur toute l’Europe occidentale entre le 26 avril et le 10 mai 1986.
Dans le numéro 3419 du Canard enchaîné, paru le 7 mai 1986, Bernard Thomas écrit : « C’est vrai, les Soviétiques ont la manie du secret. Et en plus, ils sont partageux. Dès que leur industrie produit en excès des éléments rares comme le strontium 90, l’iode 131, le césium 135 ou le tritium, ils tiennent à faire profiter des retombées les masses laborieuses des autres pays. On connaissait leur prosélytisme. Cette fois, on le mesure au compteur Geiger. C’est leur manière à eux de respecter les accords d’Helsinki : à défaut de libre circulation des particuliers, ils appliquent la libre circulation des particules».
Alors que les autres pays européens ont tiré la sonnette d’alarme et donné des consignes de sécurité à leur population, la France se complait dans un déni total. Ainsi, le 30 avril, Pierre Pellerin, directeur du SCPRI (Service central de protection contre les rayonnements ionisants), déclare que l’augmentation de la radioactivité mesurée dans l’air ne cause pas de risques pour la santé publique en France. Cette déclaration est transformée en « le nuage s’est arrêté aux frontières » dans les médias. La présentatrice météo d’Antenne 2, Brigitte Simonetta, va jusqu’à faire figurer, de sa propre initiative, un panneau stop, pour signifier que le « nuage » ne devrait pas survoler la France grâce à la présence d’un anticyclone !

B. Thomas poursuit : « C’est bon pour nos voisins des Pays-bas et d’Allemagne fédérale de demander à leurs agriculteurs de faire rentrer provisoirement les vaches dans les étables pour éviter qu’elles ne broutent de l’herbe irradiée. C’est digne des italiens de provoquer un début de panica generale sur la salade, les légumes verts et le lait frais. Chez nous, nous avons les meilleurs spécialistes. Alors, rads ou pas, il ne faut pas nous en compter. Il s’est passé si peu de chose que ce n’est pas la peine d’en parler. Nous avons la situation bien en main ».
C’est en raison de la perception d’un manque de transparence à la fois de l’État et du SCPRI qu’une poignée de scientifiques prend la décision de créer une commission indépendante, la CRIIRAD, afin de réaliser leurs propres mesures de la radioactivité en France. Leurs résultats, sans appel, confirment la toxicité des légumes et du lait durant la 1ère semaine de mai 1986.
Et B. Thomas de conclure : « Il existe en France un dogme aussi établi que celui de l’infaillibilité pontificale : l’infaillibilité pontifiante en matière de sécurité ».
Sylvain Parpaite