
En 1930, le second espace colonial français, constitué à partir des années 1830, se compose principalement de régions d’Afrique, d’Asie (Indochine et Levant) et d’Océanie (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Nouvelles-Hébrides).
Ce second espace colonial fut au cours de la seconde moitié du XIXe et au XXe siècle le deuxième plus vaste du monde en superficie, derrière l’empire colonial britannique, s’étendant, à son apogée, de 1919 à 1939, sur 12 347 000 km2, où vivaient 68,7 millions d’habitants. Comparativement, aujourd’hui, la « France d’outre-mer », composée des départements et régions d’outre-mer (DROM) et des collectivités d’outre-mer (COM), compte une douzaine de territoires insulaires dans l’Atlantique, les Antilles, l’océan Indien, le Pacifique sud, au large de l’Antarctique, ainsi que la Guyane sur la côte nord de l’Amérique du Sud, pour une superficie émergée totale de 119 394 km2, soit à peine 1 % de la superficie de l’empire colonial à son apogée entre les deux guerres mondiales.
Le 10 février 1930, la mutinerie de Yên Bái (au nord-ouest de l’actuel Vietnam) éclate. Il s’agit d’un soulèvement de soldats vietnamiens au sein de l’armée coloniale francaise, en collaboration avec le Parti nationaliste vietnamien, dont le but était d’amener l’ensemble de la population à renverser le régime colonial français et de rétablir l’indépendance. La mutinerie échoua en 24 heures, la majorité des soldats vietnamiens de la garnison refusant de participer au complot et restant loyaux envers l’armée coloniale. La répression fut impitoyable : 87 condamnés, dont 39 à mort (24 civils et 15 militaires), 5 à la déportation, 33 à des peines de travaux forcés à perpétuité, 9 à 20 ans d’emprisonnement, et 1 à 5 ans de travaux forcés.

Collection Le Centre de la Presse.

Dans le numéro 725 du Canard enchaîné paru le 21 mai 1930, Pierre Scize (1894-1956), de son vrai nom Michel-Joseph Piot, s’indigne : « Tout semble aller bien ainsi. Les blancs ont de belles villas ornés à profusion de beaux meubles indigènes et des dernières conquêtes de la civilisation. Ils « font » du caoutchouc, du riz, du charbon, c’est-à-dire que dans les plantations d’hévéas, dans les rizières et les mines, les hommes jaunes sont admis à l’honneur de travailler pour enrichir leurs maîtres. Ils avaient l’air content, au surplus : ils ne disaient rien. Pour un maître, le silence des esclaves est un signe rassurant. Il s’emploie à l’obtenir, au besoin par la matraque et le coup de botte opportunément distribué ». S’appuyant sur le récit de Louis Roubaud, envoyé spécial du Petit Parisien en Indochine, Scize poursuit : « Roubaud a pu admirer un spectacle enchanteur. Une guillotine travaillant en série ». Il dénonce au passage le silence de la presse en métropole : « La presse d’information qui sait, quand il le faut, être pudique, a appelé ça des « incidents »… Mais alors, comment appellera-t-on les catastrophes ? ». Enfin, Scize expose les causes du mal : « De la lente révolte d’un peuple bafoué dans ses traditions, dans sa culture, dans sa foi, d’une nation pacifique foulée aux pieds par le conquérant, traitée comme un bétail : les hommes à la mine, à la rizière, soldats ou domestiques, les filles servantes ou – tant qu’elles montrent quelque agrément – favorites, de tout cela qui, plus qu’une faction politique, a transformé ces hommes débonnaires en assassins nocturnes, de tout cela pas un mot ».

Cet article, parmi bien d’autres du Canard pendant les années 30, préfigure le grand combat anticolonialiste de l’hebdomadaire satirique lors des années 50, début 60.
Sylvain Parpaite