
« Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions de l’homme. »
En France, il a fallu attendre cette ordonnance signée le 21 avril 1944 par le général de Gaulle pour que les femmes obtiennent le droit de voter et de se présenter à une élection, après plus de 150 ans de mobilisations civiques. C’est, de fait, la reconnaissance de leur rôle actif dans la Résistance. Les françaises votent pour la première fois un an plus tard, le 29 avril 1945, lors des élections municipales. La France, pays de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, aura bien tardé et tergiversé. Pourtant, dès 1791, Olympe de Gouges rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, dont est extraite la célèbre citation :« La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune ». En 1848, les hommes acquièrent un suffrage qui n’a d’universel que le nom, puisque les femmes en sont exclues. Après la Première Guerre mondiale, après avoir durement travaillé pour remplacer les hommes partis au front, les femmes réclament encore le droit de vote. En mai 1919, un projet de loi est déposé pour le leur accorder. Les députés l’approuvent largement, par 344 voix contre 97. Mais en novembre 1922, les sénateurs le rejettent par 156 voix contre 134. Un rejet qui se reproduit en 1925, 1932 et 1935. En 1936, trois femmes entrent au gouvernement de Léon Blum, dont Irène Joliot-Curie, nommée sous-secrétaire d’Etat à la recherche scientifique, et Cécile Brunschvicg, sous-secrétaire d’Etat à l’Education nationale : « C’était un paradoxe extraordinaire de penser qu’elles étaient bonnes pour faire des ministres, et pas pour être des citoyennes à part entière » rappelle Yvonne Dornès, femme de lettres et féministe. Louise Weiss, elle, aurait refusé d’intégrer le gouvernement Blum en répondant « j’ai lutté pour être élue, pas pour être nommée ».

C’est la Nouvelle Zélande qui fut pionnière en la matière, ouvrant la voie du droit de vote des femmes dès 1893. Puis suivirent la Finlande (1er pays européen, en 1906), la Norvège, le Danemark, l’Islande, l’Allemagne, l’Estonie, la Lettonie, la Pologne, la Lituanie, le Royaume-Uni ou encore la Bulgarie. Toutefois, le droit de vote ouvert aux femmes n’est pas toujours celui de toutes les femmes : en Australie par exemple, seules les femmes blanches obtiennent le droit de vote en 1902. Les Aborigènes – femmes et hommes confondus – durent attendre 1962.

Dans le numéro 152 du Canard enchaîné paru le 28 mai 1919, Géo Friley (1873-1942), alias Whip, né Georges Frilley, journaliste et grand humoriste, auteur, dans le civil, de discours destinés à l’inauguration des monuments aux morts à la préfecture de la Seine, mène une enquête imaginaire dans un grand magasin auprès de dames et écrit un article truculent : « Comme toujours, les médecins ne s’entendent pas. Hippocrate dit oui et Galien dit non : la Chambre approuve, mais le Sénat ne veut pas marcher […] D’une dame un peu ronchon : – que les femmes votent , c’est très bien… Mais ça ne suffit pas. Les femmes devraient être députées… Je vous promets que le choix serait bien fait. Les hommes élisent généralement des crétins, parce que les hommes sont de pitoyables poires… Tandis que les femmes seraient plus difficiles, étant généralement rosses les unes pour les autres, et n’enverraient à la Chambre que les plus distinguées d’entre elles […]». Une dame beaucoup plus sérieuse me répondit : – M. le Curé m’a dit hier : votre mari est radical-socialiste, mon enfant ; ayez l’air de l’approuver, tout en essayant de le guérir de ses idées néfastes […] D’une dame au regard hirsute ces paroles lapidaires : – les femmes doivent être les seules à voter. Les hommes en sont indignes… Une femme serait-elle capable de faire ce qu’a fait Landru ? Non, n’est-ce pas ? Alors… Une petite femme délurée me dit en riant : – sûr que c’est heureux que les femmes votent… Elles n’auront pas de mal à mieux faire que les hommes, parce qu’elles sont moins gourdes… Et avec nous, faudra que les députés filent doux, sans quoi gare !… Et alors nous apprendrons aux hommes comment on doit porter la culotte […] A ce moment, une vendeuse de mon rayon,, qui avait écouté mes diverses conversations, me tira par ma manche : – ce que vous êtes curieux, les hommes, tout de même ! fit-elle… Qu’est-ce que ça peut vous faire, ce que les femmes pensent de la permission qu’on leur donnera de voter ?… Vous savez bien que les femmes disent ce qu’elles veulent et n’en font qu’à leur tête… Et puis, vous pouvez être tranquilles, tous tant que vous êtes, les hommes : que les femmes votent ou qu’elles ne votent pas, c’est toujours elles qui vous mèneront par le bout du nez… Je protestai véhémentement de notre indépendance. Puis, comme elle était très gentille, je l’invitai à dîner ».
Sylvain Parpaite