4 juin 1958 : La fresque de Pol Ferjac 

Le Canard enchaîné du 4 juin 1958 – Collection Le Centre de la Presse.

C’est une fresque monumentale du dessinateur Pol Ferjac qui occupe toute la première page du numéro 1963 du Canard enchaîné, paru le 4 juin 1958. Façon, pour l’hebdomadaire satirique, de représenter le retour du général de Gaulle au pouvoir, sur fond de putsch en Algérie, après qu’il eut obtenu les pleins pouvoirs de l’Assemblée nationale le 1er juin. 

L’Aurore du 30 mai 1958 – Collection Le Centre de la Presse.


67 ans plus tard (l’âge aussi du Général, qui se défend de vouloir « commencer une carrière de dictateur »), ce dessin mérite d’être décrypté. On y voit d’abord et avant tout « Mongénéral », endossant le costume – civil – du sauveur providentiel, saluant, bras écartés, une foule hétéroclite et enthousiaste de tous ceux qui l’avaient rallié ou triomphé avec lui : – d’abord les politiques, avec à ses pieds, en facteur, Vincent Auriol, puis, avec une guitare, René Coty, son successeur à la présidence de la IVème République, dont le même numéro du Canard publie le faire-part de décès au Palais-Bourbon par 329 voix contre 224, et le socialiste Guy Mollet, à l’accordéon, qui lui donnent la sérénade, avec la bénédiction, chapelet en main, de l’aumônier Pierre Pflimlin, qui vient de démissionner de la présidence du Conseil ; Antoine Pinay, futur ministre des Finances, en uniforme, fait le planton, à côté du motard Maurice Schumann ; – puis viennent Jacques Soustelle, ancien Gouverneur général de l’Algérie, avec un tromblon, l’écrivain François Mauriac sur son baudet, Robert Lacoste, ministre de l’Algérie, dans sa posture très colonialiste et, dans sa décapotable, le comte Alain Le Moyne de Sérigny, directeur du quotidien L’Echo d’Alger ; dans leur Jeep, les généraux Jacques Massu et Raoul Salan, auteurs du putsch du 13 mai ; – enfin tout un aréopage composé des « bandits corses », allusion aux militaires insurgés qui s’étaient rendu maîtres de l’île les 24 et 25 mai, l’orchestre des journaux de droite, Le Figaro et L’Aurore, les anciens cagoulards, les activistes du mouvement Jeune Nation et de la milice de Rivarol, les fidèles de la paroisse traditionaliste de Saint-Pierre de Chaillot, sans oublier les groupes – imaginaires – des « anciens de la brosse a reluire », du « Syndicat national des journalistes-sic » et des « tireurs de toit », nostalgiques de la Collaboration. A noter la figuration de Georges Bidault, qui succéda à Jean Moulin à la tête du Conseil national de la Résistance en 1943, en ange gardien, au-dessus de la main droite de de Gaulle.      
Au premier plan de cette parade des vainqueurs, la gerbe « au républicain inconnu » exprime bien les craintes que Le Canard aura toujours sur la nature autoritaire du futur régime gaulliste.
Au vu de ce capharnaüm de soutiens, plus ou moins extrémistes et partisans de l’Algérie française, R. Tréno, le rédacteur en chef, se demandait déjà qui, des gaullistes de gauche ou des gaullistes de droite, seraient les « premiers cocus »…

Le Figaro du 3 juin 1958 – Collection Le Centre de la Presse.


Ce dessin est l’opportunité de rendre hommage à Pol Ferjac (1900 – 1979), né Paul Fernand Levain, qui, après des études aux Beaux-Arts de Paris et avoir fréquenté les Montparnos des années 20, collabora au Canard de 1924 à 1973, soit pendant presque un demi-siècle. Il est le père de la comédienne Anouk Ferjac. Pendant l’Occupation, il refusa d’exercer son métier et devint acteur comique, jouant dans des revues de music-hall. Il illustra aussi des livres pour enfants avec Henri Monier et Grove, ses compères au Canard
Roger Fressoz lui rendit hommage le 13 juin 1979 en ces termes : « Il était le doyen du Canard. C’était un caricaturiste remarquable, un des tout premiers de son temps. D’un visage il savait faire surgir le personnage, d’un trait simple, précis, vigoureux. Sa manière se situait entre la caricature et le portrait ».

Sylvain Parpaite

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