C’est une funeste polémique menée récemment autour de la fonction d’éditorialiste. Il y a toujours eu des éditorialistes engagés. La fonction même n’est-elle pas d’affirmer un engagement ? Lorsque la presse écrite se forge au XIXè siècle, elle est d’abord politique au sens où elle porte le fer, elle engage le débat, elle questionne, elle défend des idées et donc à cet égard il y a toujours en première page un grand article qui donne le ton, c’est l’édito même s’il n’en a pas encore le nom.
C’est évidemment la grande époque de la presse qui s’engage, raison pour laquelle les historiens appellent le XIXè siècle « l’âge d’or de la presse d’opinion ». Mais au XIXè siècle l’éditorial peut être à géométrie variable selon l’actualité et selon l’engagement. L’exemple le plus spectaculaire est le J’Accuse signé Emile Zola qui fait la totalité de la une de L’Aurore le 13 janvier 1898 et prend fait et cause pour l’honneur du capitaine Dreyfus.

Il ne faut pas oublier qu’au XIXè siècle le journal est l’éclaireur de la démocratie et c’est en lisant le journal décennie après décennie que beaucoup de français sont devenus républicains. Les éditos peuvent être très nationalistes, c’est le cas de celui de Louis Veuillot à la une de L’Univers le 5 septembre 1870, lendemain de la capitulation de Sedan et de la proclamation de la IIIè République. Pour Louis Veuillot il n’est pas temps de parler de république, mais il est urgent de parler de nation. Ainsi écrit-il « Parce que la France est catholique, elle ne veut pas être prussienne, encore moins prussianisée. » On retrouve cet esprit dans les colonnes de L’Intransigeant du 18 février 1885 sous la plume du rédacteur en chef Henri Rochefort : « Ce n’est pas parce que le peuple d’outre-Rhin est allemand que nous lui gardons rancune, mais parce qu’il a démembré et rançonné notre patrie. » A la Une de L’Humanité du 2 août 1914 c’est Marcel Sambat qui fait l’édito parce que c’est suite à l’assassinat de Jean Jaurès. Et il écrit : « Vous reconnaissez en lui une source de lumière, parce que cette lumière s’est éteinte ». Le 2 août 1914 toujours, à la une de L’Aurore l’édito est signé Marcel Brossée et il est très clair : « Pour l’Alsace- Lorraine ! Voilà notre mot de passe pour la France. »

Autre patron de presse, Alexandre Varenne, fondateur de La Montagne et éditorialiste. Chaque jour il a donné le ton à la une de son journal pendant près de vingt- cinq ans. C’est ainsi qu’il écrit le 1 er juin 1936 au lendemain de la victoire du Front Populaire en parlant du futur gouvernement Blum « (…) l’expérience qu’il va tenter sera l’une des plus difficile qu’on n’ait jamais vue. Il faut pourtant qu’elle réussisse. » Le 10 juin 1940 alors que l’armée allemande avançait partout, il titrait déjà son édition « Préparons la Résistance ! » Et même dans son dernier éditorial, celui du journal du 11 juin 1947 il écrit : « La démocratie si fortement bousculée en ces dernières années aura du mal à se remettre en place mais on l’y aidera. Les républicains doivent s’y préparer. »

Alors éditorialiste et engagé ? La réponse est oui. Mais sans doute de moins en moins parce que la pensée émolliente et la conception d’un journalisme sans aspérité a conduit beaucoup de journaux a abandonner l’édito pour le transformer en billet de l’air du temps sans goût et ni saveur. Et il y a un signe de pure forme, mais significatif de ce recul, pratiquement aucun journal n’a conservé l’édito en première page. Un seul résiste en province ; c’est Ouest-France.
Bernard Stéphan