Les temps présents ne prêtent pas vraiment à rire, voire à sourire. Il y a donc besoin parfois de faire un effort pour débloquer un peu ses zygomatiques. Les solutions ne manquent pas, je vous en propose une : la lecture de la presse satirique et humoristique d’aujourd’hui ou d’hier. La caricature, la satire, l’humour noir, l’humour en général, qu’il soit du premier ou du troisième degré, sont d’excellents remèdes à la tristesse, aux dégouts du réel ; ils mobilisent la conscience trop souvent soumise aux flots noirs de l’actualité.
Et ce n’est pas nouveau. Le presse satirique et humoristique du XIXe siècle avait déjà ce pouvoir guérisseur, même dans une époque où la liberté avait été confisquée par le pouvoir. C’est le cas durant le règne de Napoléon III, ce pourfendeur de la République et de la démocratie.
Si j’évoque cette époque, c’est que nous avons acquis ces semaines dernières des exemplaires de deux titres de cette période : Journal pour rire et Journal amusant.
Ces deux titres plus humoristiques que satiriques se sont succédés. Le Journal pour rire est né pendant les journées révolutionnaires de février 1848, à la naissance de la Deuxième République et à l’initiative du célèbre caricaturiste Charles Philipon (1800-1862). Rappelons que Charles Philipon est aussi le fondateur du journal La Caricature (1830) et du Charivari (1831), que c’est lui qui en quatre croquis va métamorphoser le tête de Louis-Philippe en poire, lors d’un procès en 1831.Charles Philippon raconte la naissance du Journal pour rire : » Lorsqu’on 1848 j’ai fondé cette petite feuille, mon intention était de créer un recueil de dessins comiques- bien plus qu’un journal, — un journal qui ne fût pas un journal,— en un mot un journal pour de rire, comme; on dit vulgairement. Je crus expliquer clairement cette pensée en donnant à ma feuille le titré de Journal pour rire. Le public prit le titre à la lettre, et voulut un journal qui le fit constamment rire. Mes jeunes collaborateurs ont bravement accepté cette tâche, ils ont abordé les difficultés à la baïonnette, et ont enlevé le succès duJournal pour rire. »
Indiquons que les « jeunes collaborateurs » sont nombreux : Gustave Doré, Marcelin, Bertall, Stop, Randon, Damourette, Talin, Girin, etc…
Le lot que nous avons acquis il y a quelques jours à Paris couvre presque intégralement l’année 1853. Contextualisons un peu : depuis le coup d’Etat du 2 décembre 1851, le président de la République Louis-Napoléon Bonaparte (élu en 1848) s’est métamorphosé en empereur Napoléon III. La liberté de la presse a pris alors du plomb dans l’aile. Adieu la satire, bienvenue à des formes d’humour qui ne gênent pas le pouvoir.
Parmi les 46 numéros, un numéro encore plus collector que les autres, le numéro 102 du samedi 10 septembre 1853. « Les romans populaires » constituent le thème quasi exclusif de ce numéro. Les dessins et textes sont l’œuvre de Marcelin (1829-1887). On y retrouve les plus grands romans de l’époque : Notre-Dame de Paris, La Comédie humaine, Les Trois Mousquetaires, Les Mystères de Paris, etc. et même François Le Champi : une fresque illustrée remarquable.

Autre dessin , celui des bustes-caricatures des auteurs de ces romans : Victor Hugo, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Eugène Sue, George Sand. J’ai d’ailleurs découvert l’existence de ce dessin dans le récent livre richement illustré de Claire Le Guillou : George Sand, superstar.

Le 5 janvier 1856, le périodique de Charles Philipon change de nom, il devient le Journal amusant. Il explique ce changement à la Une du premier numéro : « Afin de plaisanter librement sans avoir l’air de vous dire : Écoutez, nous allons vous faire rire, — afin d’élargir le cercle de nos dessins et de nos artistes, nous prenons, à partir de 1856, le titre de Journal amusant. Nous ne ferons pas de promesses, le public ne croit plus aux programmes, et il a raison. Nous avons fait de notre mieux jusqu’à ce jour, nous en avons été largement récompensés, nous continuerons. — Pourquoi notre succès ne continuerait-il pas ?«
Le Centre de la Presse a recueilli récemment 70 numéros de ce titre; des numéros parus pendant la Troisième République; sur les années 1885 et 1897. On peut citer d’autres signatures qui paraissent régulièrement dans cet hebdomadaire qui va exister jusqu’en 1933 : Henriot, Forain, Mars, Draner, etc.
