30 avril 1969 : Une fin de MOI difficile

Le Canard enchaîné du 30 avril 1969 – Collection Le Centre de la Presse.

Avec Charles de Gaulle, Le Canard enchaîné a trouvé un adversaire à sa mesure ; ou plutôt, il a trouvé le personnage dont la démesure offrait le plus de prises à son imagination satirique. Tour à tour indignés ou bluffés, les journalistes du Canard ont, sur les succès de leur ennemi de prédilection, aussi bâti les leurs. Mais une question les obsède depuis le 13 mai 1958 : de Gaulle, fossoyeur ou rempart de la République ? Côté pile, un militaire porté au pouvoir par un coup d’Etat fomenté par les généraux de l’armée d’Algérie, obtenant les pleins pouvoirs du président Coty et de l’Assemblée nationale sous la menace d’une opération de parachutistes annulée in extremis. Côté face, l’incarnation de la France libre dont l’autorité morale put mettre au pas les ultras d’Alger et conduire à l’indépendance quatre ans plus tard. Il y a aussi cette manie de « Mongénéral » de recourir au référendum, que Le Canard assimile moins à une façon de vérifier le soutien des Français à sa politique qu’à une dérive plébiscitaire en faveur du renforcement permanent de son pouvoir personnel.   

Le Courrier de la Nouvelle république du 30 décembre 1960 – Collection Le Centre de la Presse.
La Nation du 29 novembre 1965 – Collection Le Centre de la Presse


Le référendum du 27 avril 1969, portant sur l’organisation régionale et la réforme du Sénat, est déjà le 5ème en 11 ans, après ceux du 28 septembre 1958 (constitution de la Vème République), du 8 janvier 1961 (autodétermination de l’Algérie), du 8 avril 1962 (accords d’Evian sur l’indépendance de l’Algérie) et du 28 octobre 1962 (élection du président de la République au suffrage universel direct). Un an après mai 1968, lassés, les Français – les « veaux » comme les a surnommés de Gaulle – votent non à 52,4%, provoquant la démission sur le champ du général. 
Moins de 2 mois plus tard, les « veaux » reprennent docilement le chemin de l’enclos en élisant Georges Pompidou, ancien Premier ministre d’avril 1962 à juillet 1968.  

L’Express du 28 avril 1969 – Collection Le Centre de la Presse.


Dans le numéro 2531 du Canard enchaîné, paru le 30 avril 1969, André Ribaud (Roger Fressoz) met un terme à sa rubrique « La Cour », formidable chronique du royaume gaulliste, entamée à la fin de l’été 1960 et illustrée par Roland Moisan. Il écrit l’oraison funèbre de cette fin de règne : «Ô nuit terrible, ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle ! Le règne s’achève ! Le règne est achevé ! Le Roi abdique ! Le Roi a abdiqué ! […] Déjà le prince de Poher est saisi d’une douce main de la lieutenance générale du royaume. Le sceptre passe… Quelle fin étrange d’un roi renversé de son trône par l’obstination de son aveuglement plus que par la malignité de ses ennemis ! Il fut son propre bourreau et tomba sous ses sapes mêmes. Mai 1968 avait commencé de l’approcher de la chute, et depuis ce malheureux moment tout alla visiblement en décadence, les affaires furent sans retour ».
Ribaud ne cache pas son émotion en concluant son article : « Du Roi, du règne, on disputera longtemps. Qu’on sache du moins que, pour Moisan et votre serviteur pendant cinq cent soixante cinq semaines, le Roi fut un bon et fidèle sujet ». La Cour ressuscitera une fois, dans le numéro du 11 novembre 1970, pour la mort du général : « Le 9 novembre, par un triste soir d’automne, le Roi se retira soudainement d’un monde qui s’était, déjà, lentement retiré de lui ».

Sylvain Parpaite