À mesure que la presse régionale et locale décline un peu partout dans les pays occidentaux (y compris en Amérique du nord), un curieux phénomène apparaît outre-Manche : la résurrection de gazettes disparues depuis un siècle, en version gratuite, remplies de publicité et de propagande politique. L’hebdomadaire londonien New Statesman a enquêté en Grande-Bretagne sur les éditeurs de ces publications, prêts à exploiter l’image de confiance du journalisme de proximité au profit de marques commerciales et d’élus.
Dans Peak District (centre de l’Angleterre) un jour d’août 2023 les habitants ont découvert, glissé dans leur boîte aux lettres, un exemplaire du High Peak Reporter. Dans ce journal des infos certes, mais que des infos positives et laudatrices. Et une surprise pour les habitants, le retour d’un titre presque oublié. En effet le High Peak Reporter n’existe plus depuis 1998, date de sa fermeture après un peu plus d’un siècle de publication. La réalité est que le nouveau High Peak Reporter est l’utilisation d’une marque en captant le logo de l’ancien journal, son format, son style de mise en page, sa maquette, son style de caractères d’imprimerie, et ceci pour un usage très personnel, en l’occurrence pour la propagande d’un député puisque le nouveau High Peak Reporter est un journal gratuit d’infos d’un parlementaire vers ses électeurs. Ici le parlementaire a repris tous les codes visuels de ce que fut le journal local, mais sans le contrôle d’une rédaction, pas de journaliste, pas d’éditeur, le contenu relève du seul caprice de celui qui s’est accaparé les codes d’une marque endormie.
Un autre exemple est la réapparition de la Manchester Gazette, un titre qui officiellement a disparu en… 1829 ! Uniquement en ligne, la Manchester Gazette reprend les codes visuels de la presse locale et se targue de milliers de consultants pour un contenu hyper-positif qui place des communiqués d’entreprise dans les colonnes contre monnaie sonnante. « Tu paies et je publie la totalité de ton communiqué sans en changer un mot ou une ligne ! »
Ce mouvement de reprise de modèles au profit d’une info exclusivement positive d’un commanditaire (responsable politique ou enseignes commerciales) illustre le développement de faux médias sans journaliste. Ou comment créer une presse qui ne gêne personne et surtout qui ne vérifie pas l’information et qui n’est soumise à aucun esprit critique tout en se parant des habits d’un vrai journal.
En Grande Bretagne on a donné un nom à ce phénomène de résurrection de journaux sous les habits neufs de la tromperie, c’est la presse zombie avec les journaux zombis.
Peut-on craindre le même phénomène un jour en France ? Rien n’est exclu, surtout si les « détourneurs » utilisent des titres disparus depuis un siècle et plus. Et ils n’auront que l’embarras du choix pour aller extraire des tiroirs de la mémoire un titre oublié. Depuis un siècle ce sont quelques 3000 titres qui ont ainsi vécu et disparu dans notre pays. Peu d’entre eux sont protégés par un dépôt de marque pour obtenir la propriété industrielle, l’avenir des zombis aurait donc de beaux jours devant eux de ce côté-ci de la Manche aussi !
Bernard Stéphan