Bécassine, une caricature réhabilitée

La Semaine de Suzette du 5 janvier 1928 – Collection Le Centre de la Presse

Voici Bécassine. Il y a 120 ans que ce personnage a été créé fortuitement et est apparu pour la première fois dans un petit magazine de filles ; La Semaine de Suzette. Le personnage est la caricature d’une petite paysanne bretonne qui va aller à la ville par nécessité, elle est à la fois l’incarnation de la godiche, de la naïve, de la simplète, de la balourde, qui méconnait les usages sociaux. Mais plus profondément elle va subir le regard suffisant et méprisant de la ville pour la petite campagnarde et à cet égard nous avons là un personnage qui illustre bien les rapports de classe dans la société française du début du XXè siècle. Cette Bécassine est le fruit de l’imagination de la rédactrice en chef de La Semaine de Suzette, Jacqueline Rivière, (elle créa le scénario et eu l’idée de ce personnage) et elle confia le soin du dessin à Joseph Porphire Pinchon (il est aussi l’auteur de Frimousset pour le supplément de L’Echo de Paris.

Page des enfants de L’Écho de Paris du 28 juillet 1928 – Collection Le Centre de la Presse.

Après la Libération il inventa le personnage de Babylas pour le supplément du jeudi de France-Soir). Devant le succès de l’historiette, il y eut une aventure éditoriale de Bécassine avec de nombreux développements. On voit le versant de la caricature encore plus affirmée avec la description d’un monde arriéré, borné, superstitieux, jusqu’au nom du village de naissance de Bécassine, il s’agit de Clocher-les-Bécasses le bien nommé ! Bécassine incarne une jeune servante au service de la bourgeoisie à l’instar des jeunes bretonnes qui partaient s’engager à Paris. Nées dans une Bretagne à la très forte démographie mais aussi à la grande pauvreté, il y eut entre 1870 et 1950 une grande migration des filles vers la capitale. Il était de bon ton dans la bourgeoisie parisienne de recruter des nourrices ou des bonnes bretonnes, jeunes filles réputées pour leur naïveté, leurs qualités au travail, leur obéissance et leur pratique de la religion catholique. L’image de Bécassine aura quelques sursauts positifs, ainsi elle va apparaitre dans un album comme infirmière de soldats sur le front de 14-18 et elle sera même une femme patriote puisqu’elle y lance un cri « contre les boches ». Son image sera contestée par les autonomistes bretons qui y ont vu la version locale, féminine et anti-provinciale, néocoloniale, du personnage de « y a bon Banania ! ». Et ce sont des jeunes militants bretons qui en 1939 firent irruption au musée Grévin à Paris pour détruite sa statue de cire.

Extrait du quotidien Le Journal du 19 juin 1929 – Collection Le Centre de la Presse

Quant au film Bécassine signé Pierre Caron en 1940, il fit une carrière très éphémère, interdit de diffusion en Bretagne et sorti de la programmation des salles ailleurs devant le tollé que suscita son visionnage. En 2018 le dessinateur Béja a ranimé Bécassine dans un nouvel album, il en a fait un personnage à la fois lunaire, émancipé, féminin, résistant, aventurier. Bref, non seulement il a réveillé la petite bretonne mais il l’a réhabilitée.

Bernard Stéphan